De l'ombre à la lumière

Publié le par Tamilselvi

Les froides et longues soirées d'hiver étaient propices à se planquer dans des pubs avec des amis, des bars à Camden Town. Au Hawley Arms, par exemple, où l'âme d'Amy semble errer encore et où les messages au Tippex sur les portes des toilettes lui sont bien souvent adressés.

We only said good bye with words, I died a hundred times
You go back to her, and I go back to blac
k...

Puis progressivement, les nuits infinies commencent à s'écourter, et sans prévenir, la lumière du jour revient, me surprenant à la sortie du métro à Westminster, jusqu'à m'éblouir tous les matins lorsque je traverse le pont.

La magie du soleil.

L'arrivée du printemps coïncidait avec mon retour ponctuel au bloc sur mes quelques jours off, histoire d'avoir un aperçu des pratiques locales et de m'imprégner un peu d'anesthésie en chirurgie cardiaque, pour me préparer à mon prochain stage parisien.

Quatre journées, quatre pontages aorto-coronariens, quatre anesthésistes bien différents les uns des autres. Le dinosaure qui a dû voir l'arrivée du poumon d'acier et qui est heureux de m'expliquer ses astuces de "vieux", le méditerranéen caféinomane et charmeur, le britannique courtois et distingué, le jeune chef psychorigide mais pédagogue dans sa rigueur.

Première différence notable : aucune remarque de l'IADE me renvoyant vers le fait que je n'ai pas ouvert la salle ni préparé le matériel. Quand je demande si je peux aider à faire quelque chose, le consultant me propose "je pose la perf' et toi tu poses l'artère, puis tu prendras la tête pour intuber et poser le KTC, ça te va ?". Echange de regards avec l'IADE pour lui demander si ça ne le dérange pas, et là, surprise, miracle, "c'est toi le médecin, installe-toi, je te passe le matériel... tu préfères un tabouret ou une chaise pour l'artère ?"... Impensable...

Le rythme est fluide, rapide, on n'attend personne, que ce soit pour brancarder ou installer, tout le monde est là pour travailler et terminer le plus de boulot le plus tôt possible pour que l'activité froide ne traîne pas sur la garde.

Une fois le patient installé, nous voilà lancés sur la check-list pré-opératoire, où chacun se présente par son prénom et donne sa fonction, puis les questions et réponses s'enchaînent comme elles devraient le faire d'habitude en France.

Je reste étonnée du côté agréable des communications de part et d'autre de la barrière hémato-encéphalique.

"Il dort pas ton malade !" devient "je pense qu'il y a un souci", dit posément par le chirurgien qui note que le patient tousse alors qu'il disséquait la mammaire interne. Le chirurgien qui se confond quinze fois en excuses pour la projection d'une petite goutte de sang sur ma charlotte alors qu'il décannulait l'aorte. Les perfusionnistes disposés à m'expliquer les rouages des pompes et machines complexes.

Personne ne s'énerve pour le report d'une intervention de quelques heures pour cause de souci d'appareils de monitorage du côté anesthésique, alors que le patient est déjà endormi, cathéters en place, prêt à être incisé. Ca agace, évidemment, mais on raisonne, on relativise, pas de remarque non-productive, personne ne hausse le ton.

Zéro tension, Norah Jones en fond sonore, tout va bien.

J'ai peut-être eu de la chance, ce n'est peut-être pas toujours ainsi, et les équipes ont peut-être été plus gentilles parce que je suis la Parisian Doctor, comme m'appelle mon confrère chirurgien.

Who knows...

Le rythme plus détendu des journées au bloc et mes repos de garde m'ont permis de profiter de mes fins d'après-midi, ensoleillées, à redécouvrir la ville, les gens, à avancer et à me redécouvrir aussi.

Sun is in the sky, oh why oh why would I wanna be anywhere else ?

De l'ombre à la lumière
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